Bonjour mes Chers Lecteurs.
Publié avec l’aimable autorisation du blog Fukushima 福島第一
Texte de de HORI Yasuo du 21 juillet 2016 traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET et Ginette MARTIN.
Le journal Asahi du 20 février 2016 a publié une
interview de Tarukawa Kazuya, un agriculteur de quarante-six ans, qui
loge à Sukagawa, ville du département de Fukushima. Comme cette
interview est très touchante, j'en donne ici la traduction. Cet homme
est membre du groupe de plaignants, qui exigent du tribunal, que leur
soient rendus leur emploi et la ville où ils habitaient. J'ai trouvé son
témoignage également dans la brochure qu'a publiée le groupe de
plaignants.
Question : Quelle est votre situation actuelle, cinq ans après l'accident nucléaire ?
Tarukawa : Les déchets radioactifs se sont dispersés également sur notre région, Nakadōri,
située au milieu du département de Fukushima, loin de la centrale n° 1.
Les rizières, les jardins maraîchers, les montagnes, les tunnels de
forçage en plastique, tout était pollué, en conséquence de quoi nous
avons perdu notre emploi. TEPCO n'a ni versé
d'indemnité compensatoire pour nos propriétés perdues, ni retiré les
déchets radioactifs de nos champs. Cinq années ont passé. Je ne cesse de
me demander ce que je suis, sinon seulement une victime des dégâts.
À
titre de pretium doloris j'ai reçu, en 2011, 80 000 yens soit 700
euros, et en 2012, 40 000 yens (350euros). Et c'est tout. Est-ce que 120
000 yens (1060 euros) sont suffisants pour nous faire taire ?
Pouvons-nous nous contenter d'attendre que la radioactivité disparaisse ?
Sûrement pas ! Nos pertes sont infiniment plus grandes que ne l'est
cette somme.
Question : J'ai entendu dire que votre défunt père s'occupait très activement de la culture biologique de légumes.
Tarukawa : Il
s'intéressait beaucoup à l'environnement. Il avait commencé à cultiver
des choux en hiver, car alors on n'a pas besoin d'utiliser
d'insecticides. Les choux poussaient bien, sous la neige, et devenaient
doux. Toutes les écoles du voisinage utilisaient nos choux pour leur
repas de midi. Mon père était très heureux de pouvoir fournir aux
enfants une nourriture très saine. Il fit même un jour une causerie dans
une école, au sujet de l'agriculture biologique. Il était fier de ses
légumes.
Puis
est arrivée une instruction gouvernementale interdisant la vente des
légumes produits dans notre district, et le jour suivant mon père s'est
suicidé. Il nous restait sept mille cinq cent choux prêts à être vendus, tous ont fini au dépotoir. Devant un avenir si sombre, ses nerfs avaient craqué.
Dans la brochure éditée par les plaignants, voici son témoignage:
Question: Dans
cette affaire, TEPCO a reconnu devant le tribunal qu'il y avait un
rapport entre cette mort et l'accident nucléaire, et un compromis a été
trouvé, n'est-ce pas ?
Tarukawa : Pour
venger mon père, j'ai attaqué TEPCO et en fin de compte j'ai obtenu un
compromis et reçu une indemnité. Je pensais qu'un responsable de la
compagnie viendrait chez moi prier pour mon père et demander pardon,
mais j'avais mal compris. Seul un message fax est arrivé.
Question : A-t-on nettoyé la terre ?
Tarukawa : On
a “nettoyé” les rizières. On a creusé le sol sur une profondeur de
quarante centimètres, répandu de la zéolithe et brassé la terre. On dit
que la zéolithe absorbera les substances radioactives. C'est ce qu'on
appelle la “dépollution”.
C'est
tout de même ridicule, non? Il se peut que les plants de riz
n'assimilent pas de substances radioactives, mais la quantité de
celles-ci dans le sol reste la même. Nous, les paysans, nous travaillons
du matin au soir sur cette terre polluée. Qu'arrivera-t-il à notre
corps? Nous ne cessons pas d'être inquiets.
Question : Ne peut-on pas éliminer la couche de terre de surface qui est polluée ?
Tarukawa: Il
est facile d'éliminer la couche superficielle, mais si on fait ça, on
n'aura pas des plants de riz et des légumes de bonne qualité. Pour
rendre la terre de surface féconde, il faut plusieurs décennies.
J'appartiens
à la neuvième génération de ma famille à cultiver ce bien. Je ne veux
pas détruire mes champs, donc je continue à les travailler. Si je ne le
faisais pas, ils deviendraient bientôt stériles. L'herbe y pousserait et
gênerait les voisins. Nous ne pourrions recevoir ni indemnités ni
revenus, donc nous n'aurions plus de quoi vivre.
Question : Combien TEPCO paie-t-elle d'indemnités pour les produits de la terre ?
Tarukawa : Si
nous pouvons prouver la perte, la compagnie paie. Si, par exemple, un
produit qui se vendait deux mille yens avant l'accident se vend à
présent mille cinq cent yens, TEPCO
paie la différence, soit cinq cent yens. Pendant les deux dernières
années, les concombres se sont vendus plus cher qu'avant à cause du
mauvais temps. Dans ce cas-là elle ne verse aucune indemnité, et
pourtant réfléchissez : si l'accident ne s'était pas produit, je
pourrais vendre mes concombres plus cher, et du reste ce prix lui-même
est plus bas que dans les autres départements. TEPCO essaie toujours d'éviter le versement d'indemnités.
Nous
voudrions être indemnisés pour de nombreux autres produits. Par exemple
nous cultivions des champignons dans le jardin, nous ramassions des
herbes dans la colline. Tout cela est perdu pour nous, cependant TEPCO ne nous en indemnise nullement.
Question : Qu'en est-il de la mauvaise réputation de Fukushima ?
Tarukawa : Le
riz que j'ai récolté en 2011 avait une radioactivité de trente
becquerels. La norme était alors de cinq cent becquerels (ramenée à
cent, depuis 2012), mon riz était donc dans la norme. Mais le riz
pénètre dans notre corps, et je n'aurais pas voulu, moi non plus,
consommer le mien, or je le faisais quand même, parce que je ne voulais
pas en acheter dans le commerce.
Cependant
je me sentais coupable de le commercialiser. Je comprends bien, que les
habitants de Tokyo ne veuillent pas manger du riz de Fukushima. Y
avait-il des gens prêts à se nourrir de riz produit au voisinage de
cette vieille centrale nucléaire ? Il n'y avait pas là diffamation. Si
le riz ne s'était pas vendu à cause d'une rumeur mensongère, il y aurait
eu diffamation, mais des substances radioactives sont bel et bien
tombées sur Fukushima.
Question : Votre riz est-il encore pollué ?
Tarukawa: Ni
en 2014 ni en 2013 on n'a décelé une radioactivité dans mon riz. J'ai
fait tout ce que je pouvais faire. J'ai répandu du chlorure de potassium
afin que le riz n'absorbe pas de substances radioactives. Chaque sac
est examiné. Si le riz est pollué, on ne peut pas le mettre sur le
marché. Je pense que le riz de Fukushima est à présent le plus sûr du
Japon.
En
fait, ce riz se vend bien pour la restauration rapide, les hôpitaux,
etc, sans qu'il soit fait mention qu'il provient d'ici. Le riz de
Fukushima est très savoureux, et il convient donc bien pour ce type de
restaurants où l'on peut l'avoir à très bon marché.
Question : Quels légumes produisez-vous ?
Tarukawa : Dans
les serres de plastique, la terre n'a pas été polluée, j'ai donc décidé
de cultiver les légumes uniquement sous serre et non plus à l'air
libre. À présent, je ne produis plus de choux mais des brocolis, dont pourtant le prix est bas, à cause du nom de Fukushima.
Question : Que pensez-vous de la remise en marche de quelques centrales nucléaires ?
Tarukawa : Pendant
les dernières années, aucun réacteur n'a fonctionné au Japon, cependant
aucune nuit n'a été sans lumière. Nous avons toujours eu assez de
courant. Mais le pétrole nous revenait fort cher. Il se peut que le
combustible nucléaire soit meilleur marché, mais en cas d'accident
combien devrons-nous débourser ? Quelle énorme charge financière pour nous! Si un autre accident grave devait se produire, qu'arriverait-il à notre pays ?
Question : Que souhaitez-vous ajouter ?
Tarukawa : Si
je me taisais, ce serait plus facile. Mais je suis passé dans la presse
et à la télévision lors du décès de mon père. Certainement un grand
nombre de cultivateurs sont mécontents et même furieux envers TEPCO. Aussi ne puis-je me taire. Si je ne donnais pas mon sentiment, je serais un faux-jeton.
Voilà pourquoi j'ai accepté de paraître dans le film “Je reçois la terre en héritage”.
Je veux surtout que les agriculteurs, qui habitent à proximité de
centrales nucléaires au Japon, voient ce film. Qu'ils sachent ce que
pourraient leur causer des accidents nucléaires. Mon père disait
souvent: “Ce que les hommes font, un jour, sera immanquablement détruit. Les hommes ne peuvent vaincre la nature.” Et il avait raison. Après cinq ans, personne ne veut endosser la responsabilité de l'accident nucléaire.
(Fin de l'interview)
Dans la brochure des plaignants, Tarukawa achève son témoignage par ces mots :
Pour
nous, paysans, hormis notre existence, la terre et un environnement
favorable sont les choses les plus précieuses. Nous voulons que TEPCO
et le gouvernement nous restituent un milieu non pollué. Et de plus,
comme le disait mon père, les centrales nucléaires doivent être mises au
rancart.
Serviteur.
Merci d'avoir retransmis cet entretien.
RépondreSupprimerJe ne sais que dire et je continue à regarder l'épée qui flotte au dessus de nos têtes...
C'est ce genre de posts qui rend le temple si unique. Un sujet qui devrait tous nous concerner.
RépondreSupprimerMerci
Excusez peut etre ma betise, mais cette catastrophe de fukushima est à la base due à une catastrophe climatique, non?
RépondreSupprimerTout ca c'est donc surtout de la faute a pas de chance (sauf a dire qu'il y a defaut de construction de la centrale, ce qui n'est pas le cas je crois).
Par ailleurs, il parait bien évident que TEPCO ne peut pas indemniser toutes les victimes de la catastrophe étant donné l'ampleur des dégâts.
TEPCO ferait automatiquement faillite et qu'adviendrait-il des autres centrales?
Là ou TEPCO est fautif, c'est de caché la gravite de la chose. Toutefois le mal étant fait, c'est bien la le pb avec le nucléaire, c'est qu'il n'y a plus rien a faire...